Une erreur de l’État n’a pas simplement couté le prix de deux vies innocentes. Elle a aussi détruit les nôtres.” [1] Ce sont les mots de Muhammad Arif dont le père a été condamné à mort en 2002 et exécuté en 2015 au Pakistan. Les témoignages d’enfants de parents condamnés sont trop peu nombreux à être mis en avant. Or, ils nous livrent une réalité aberrante dont font peu état les divers comptes-rendus et bilans internationaux. Ce constat justifie que la 17ème journée mondiale contre la peine de mort[2], ayant lieu le 10 octobre, soit centrée sur les enfants des condamnés, toujours omis et invisibilisés lorsque l’on aborde la question de la peine capitale. C’est également le 30ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant[3] ce qui légitimise davantage le choix de cette thématique cette année.

Le manque crucial de données sur la situation des enfants affectés par l’exécution d’un proche est la preuve évidente du désintérêt dont font preuve les différentes autorités à leur égard. Par conséquent, cela fait obstacle à la réalisation d’actions concrètes, constamment réclamées par la société civile. Selon la World Coalition, les données communiquées sont en deça de la réalité[4] et sont liées à la nature du régime politique ainsi qu’au tabou que représente la peine capitale, comme il est possible de le constater en République populaire de Chine[5].

Il est inadmissible qu’en 2019 la peine capitale du/des parent(s) ait encore une répercussion sur la vie et le futur des enfants. Les témoignages nous montrent que cette répercussion va bien au-delà du cercle privé d’un des parents ou, dans certains cas, des deux. En effet, la lecture de certains témoignages est révélatrice : “Ça m’a torturé. Je me suis senti trahi par le système pour m’avoir privé d’un père pendant 19 ans.[6]” Sur 14 témoignages, 3 enfants (Tom Kalanzi, Alex Mpagi et Ngago Winnie) révèlent qu’ils ont dû arrêter leur scolarité et Homan Mousavi a eu interdiction de poursuivre ses études dans le supérieur de par le contexte politique de l’exécution de son père[7].

Or, l’article 28 de la CIDE insiste sur l’importance capitale de l’éducation des enfants quelque soit le pays concerné, d’autant plus que les familles sont majoritairement issues de “milieux populaires et/ou de minorités”[8]. C’est aussi ce contexte de précarité qui rend l’aspect financier primordial. En effet, la famille du/des détenus doit supporter les multiples frais entraînés par les procédures juridiques, sans compter que des enfants doivent travailler pour payer leur scolarité.

La condamnation et/ou l’exécution d’un parent se traduit par des violences physiques, psychologiques aux répercussions diverses : isolement, stigmatisation et délinquance. On peut le constater avec le témoignage de Celia Veloso, la mère de Marie-Jane Veloso, condamnée à mort en Indonésie : “J’ai dû expliquer à mes petits-enfants que leur mère avait été condamnée à mort. Le plus âgé a 14 ans. Il trouve que l’école est difficile parce que ses camarades de classe le taquinent. Son travail va en descente, il est détruit, il souffre.[9]” En dehors de l’indicible douleur que provoque une telle perte, l’environnement violent dans lequel l’enfant évolue plus ou moins longtemps affecte son avenir. En effet, la violence qu’il côtoie au quotidien peut entraîner chez lui un comportement agressif, que ce soit envers les autres ou envers lui-même[10].

L’environnement familial censé être un refuge pour l’enfant peut alors devenir un lieu d’angoisse, de brutalité plus particulièrement pour les petites filles qui sont davantage sujettes à des violences sexuelles[11]. Une liste exhaustive des séquelles causées par ces violences ne peut être effectuée aujourd’hui de par leur pluralité et leur diversité. Force est de constater que ces enfants font l’objet d’une négligence étatique qui va à l’encontre de traités, de conventions qui mentionnent “l’intérêt supérieur de l’enfant”. La World Coalition contre la peine de mort mentionne six traités et conventions[12] dont la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) de 1989 ou encore le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, sur les droits de l’enfant entré en vigueur en mars 1976[13]. Or, bien que ces textes aient été signés par de nombreux pays, les droits des enfants sont bafoués, à l’image de certains qui sont également privés d’informations concernant les dates de procès ou encore d’exécution de leur proche, ce qui constitue une grave violation du droit à l’information selon l’article 13 de la CIDE[14].

D’après les chiffres d’Amnesty International

Le nombre d’exécutions dans le monde est en baisse régulière depuis 2015. Cette diminution est à saluer ; pour autant elle ne s’accompagne pas d’une prise en charge efficiente globale en faveur des enfants. Dans le cadre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, une réunion-débat traitant du droit des enfants de parents condamnés a eu lieu en 2013. Marta Santos Pais en fait état en octobre 2017 et énumère les nombreux manquements à la loi et les conséquences de ces derniers :”De fait, la protection des droits consacrés par la Convention relative aux droits de l’enfant est un rêve bien lointain pour ces enfants[15]. Depuis, rien n’a été fait et nous sommes en 2019. Il est nécessaire de mettre le problème à l’ordre du jour des réunions des comités internationaux afin de faire avancer la cause de ces enfants. L’abolition de la peine de mort doit être universalisée et il est intolérable qu’en 2019, il faille encore alerter la communauté internationale au sujet des droits des enfants constamment bafoués. L’inaction des États condamne symboliquement les enfants à subir les conséquences d’actions dont ils ne sont pas responsables.

En ratifiant les différentes conventions, les États se sont engagés à en respecter les conditions, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Afin de saisir l’ampleur du phénomène, nous demandons à ce que la France joue son rôle sur le volet diplomatique avec les États non abolitionnistes. La France doit être force de persuasion auprès des autres États signataires de la CIDE, pour garantir le respect du droit le plus fondamental qu’est le droit à la vie.  

HUMANITY DIASPO RECOMMANDE :

  • La nécessité de réaliser de nouveaux rapports, avec des données chiffrées récentes et réelles. Nous disposerions ainsi d’une quantité d’informations actualisées permettant par conséquent, la mise en place d’actions concrètes et ciblées afin que le fardeau qui pèse sur les enfants de parents condamnés ne fasse pas obstacle à leur bon développement et à leur avenir.

  • Davantage de “réunions-débats”, à l’image de celle organisée par les Nations Unies en septembre 2013, avec pour ordre du jour le cas particulier des enfants dont les proches ont été condamnés à mort doivent être instaurées par la communauté internationale. Le but est d’être informé régulièrement sur l’évolution des chiffres, des projets mis en oeuvre et des besoins non couverts permettant ainsi de lutter contre l’invisibilité des enfants, victimes indirectes de la peine de mort.

  • D’allouer un budget pour le bon encadrement de ces enfants doit être attribué aux structures les accompagnant. Au vu des témoignages et des articles des différentes conventions, force est de constater que les différents accompagnements prônés (psychologiques, scolaires, financiers…) sont rarement présents. Chaque enfant doit pouvoir bénéficier concrètement de ce à quoi il a réellement droit.

Il relève de la responsabilité des États qui condamnent à mort des hommes et des femmes de s’assurer du bien-être des enfants dont le parent vient d’être exécuté, si ce n’est pas les deux. Le problème ne se poserait pas si la peine de mort était abolie dans tous les pays du monde.

Humanity Diaspo se joint à l’ECPM (Ensemble Contre la Peine de Mort) afin d’éradiquer la peine de mort dans le monde.

Rédigé par Elaine Lasson et Emma Montron

NOTE DE BAS DE PAGE : 
[1] page 12, Les enfants de parents condamnés à mort ou executés : Paroles d’enfants, Coalition mondiale contre la peine de mort  http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019Temoignages_FR
[2] lancée par la Coalition mondiale contre la peine de mort et bénéficiant du soutien de l’Union Européenne ainsi que du Conseil de l’Europe.
[3] CIDE de 1989
[4] http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019FactsFigures_FR
[5] Amnesty International évoque un secret sur les statistiques concernant les condamnés à mort, dans une fiche récapitulative de son rapport : http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019FactsFigures_FR
[6] Témoignage de Tom Kalanzi (Ouganda) page 4, Les enfants de parents condamnés à mort ou exécutés : Paroles d’enfants, Coalition mondiale contre la peine de mort ,http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019Temoignages_FR
[7] Les enfants de parents condamnés à mort ou executés : Paroles d’enfants, Coalition mondiale contre la peine de mort,  http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019Temoignages_FR
[8] page 2, Les droits des enfants de parents condamnés à mort ou exécutés. Fiche d’information détaillée http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019DetailedFactsheet_FR
[9] Témoignage initial en anglais, provenant du dépliant : Why does the death penalty not protect you
? d’ECPM (Ensemble Contre la Peine de Mort) ;“I had to explain to my grandchildren that their mother hand been sentenced to death. The oldest is 14. He is finding school difficult because his classmates tease him. His work is going downhill, he is destroyed, he is suffering.” Celia Veloso, mother of Marie-Jane Veloso, sentenced to death in Indonesia.”
[10] page 8, Les droits des enfants de parents condamnés à mort ou exécutés. Fiche d’information détaillée http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019DetailedFactsheet_FR
[11] Site des Nations Unies, lettre “Les droits des enfants dont les parents sont condamnés à la peine de mort ou ont été exécutés” : https://violenceagainstchildren.un.org/fr/news/rights-child-when-parent-sentenced-death-penalty-or-executed
[12] page 3 et 4 du compte rendu de la coalition mondiale sur les chiffres de la peine de mort : http://www.worldcoalition.org/media/resourcecenter/WD2019DetailedFactsheet_FR
[13] Site des Nations Unies – Droit de l’Homme : https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/ccpr.aspx
[14] Site internet Humanium : https://www.humanium.org/fr/texte-integral-convention-internationale-relative-droits-enfant-1989/
[15] représentante spéciale chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants.
SOURCES :