Préambule
En 2019, près de 132 millions de personnes à travers le monde auront besoin d’aide humanitaire. Les crises humanitaires, qu’elles soient liées aux conflits ou aux catastrophes naturelles, ont un impact disproportionné sur les femmes et les filles. Elles exacerbent les discriminations et violences à leur égard et augmentent les risques de voir leurs droits bafoués. Les femmes sont encore trop souvent tenues à l’écart des négociations. Entre 1990 et 2017, les femmes ne représentaient que 2% des médiateur.rice.s, 8% des négociateur.rice.s et 5% des signataires des processus de paix.

La France a fait de l’égalité femmes-hommes une des grandes priorités de ce G7 2019 et c’est dans cette perspective que la réunion Ministérielle sur les Affaires Étrangères doit acter des engagements concrets pour lutter contre les violences sexistes et favoriser l’autonomisation des femmes et des filles. Les politiques et investissements du G7 devraient prendre en compte les liens interdépendants entre santé, éducation, autonomisation économique, et paix et sécurité.

Les pays du G7, en tant que principaux bailleurs de fonds mais également au vu de leur influence diplomatique, ont la responsabilité de mettre en oeuvre les résolutions Femmes, Paix et Sécurité du Conseil de sécurité des Nations unies, de veiller à la protection de l’ensemble des civils dans les contextes de crise, et notamment des femmes et des filles, et de garantir leur participation effective aux prises de décision.

De précédents sommets du G7 ont déjà acté plusieurs engagements dans ce domaine mais leur mise en oeuvre doit maintenant être accélérée. Les déclarations de Whistler, de Charlevoix et l’Initiative de Partenariats sur les Femmes, la Paix et la Sécurité adoptées l’an dernier notamment, doivent être accompagnées de plans d’action et de financements pour assurer leur traduction en résultats concrets.

Les pays du G7 et les pays partenaires doivent réaffirmer leur attachement au respect du droit international humanitaire et de leurs engagements existants en matière de droits humains. Aucun impératif sécuritaire ne peut être utilisé pour remettre en cause ces principes. En parallèle, les droits des femmes et des filles doivent être davantage pris en compte dans le cadre du nexus humanitaire-développement-paix afin de s’assurer que l’ensemble des interventions s’attachent à lutter contre les causes profondes des inégalités entre femmes et hommes.

En tant que membres du Women 7 (W7), réunissant des organisations féministes de la société civile des pays du G7 et de pays en développement, nous demandons aux Ministres des Affaires Étrangères réunis à Dinard de participer à la création d’une dynamique mondiale en faveur de l’égalité des sexes, tel qu’énoncée par Jean-Yves le Drian lors de sa déclaration sur les priorités de la présidence française du G7. Cette première ministérielle donnera le ton sur la capacité de la présidence française à rallier l’ensemble des pays du G7 et des pays partenaires autour d’une politique étrangère prenant en compte et agissant pleinement en faveur de l’égalité femmes-hommes.

Nous appelons les pays du G7 à :

  1. Renforcer la prévention et la protection des femmes et des filles face aux violences sexistes et sexuelles
  2. Placer les femmes au coeur de la prévention et résolution des conflits, de la réponse humanitaire et du relèvement de leurs pays et communautés
  3. Promouvoir la pleine intégration des enjeux de genre dans l’Alliance Sahel
  4. Adopter et mettre en oeuvre une politique étrangère féministe, composée d’une diplomatie et d’une aide publique au développement féministes

Recommandations du W7

1. Renforcer la prévention et la protection des femmes et des filles face aux violences sexistes et sexuelles

Indifféremment de leur revenu, leur classe sociale ou leur pays, les femmes et filles sont, à des degrés divers et multiformes, victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques(1). Selon l’Organisation mondiale de la santé, 35% des femmes indiquent avoir été exposées au cours de leur vie à des violences physiques ou sexuelles infligées par un partenaire intime ou une personne n’étant pas leur partenaire. En contexte de crise, les femmes et les filles subissent de nombreuses conséquences néfastes contre lesquelles les pays du G7 et leurs pays partenaires se doivent de lutter.
Les Etats du G7, tant dans leur politique de développement qu’aux travers de leurs relations diplomatiques, doivent prendre des mesures concrètes pour prévenir les violences sexistes et sexuelles et assurer la protection des femmes et des filles face à ces violations des droits humains. Nous appelons les Etats du G7 à :

  • Adopter une approche intersectionnelle et adaptée au contexte dans toute réponse humanitaire, c’est-à-dire prendre en compte les besoins et attentes spécifiques des femmes et des filles, des hommes et des garçons, notamment en fonction de leur sexe, âge, situation de handicap ou statut socio-économique, en travaillant en étroite collaboration avec les mouvements et associations locales, notamment de femmes et de jeunes. Pour ce faire, il est fondamental de soutenir la collecte de données ventilées au-delà de l’âge et du sexe dans le cadre des crises humanitaires.
  • Renforcer l’accès aux services de base de qualité pour les femmes et les filles, notamment l’accès à la santé ou à l’éducation. Les pays du G7 doivent contribuer à l’instauration de services sociaux de base faisant l’objet d’évaluations régulières par les usager.e.s directement auprès des personnels concernés (équipes médicales, corps professoral) pour assurer une réelle redevabilité et une amélioration constante de la qualité des services. Les pays du G7 doivent également financer des programmes garantissant l’accès des femmes et des adolescentes aux services de santé sexuelle et reproductive.
  • Lutter activement contre le continuum des violences sexistes et sexuelles en contexte de crise en dédiant des financements spécifiques à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et à leur prévention. Les pays du G7 doivent notamment mener des programmes de lutte contre les pratiques néfastes telles que les mariages forcés et précoces ou les mutilations génitales féminines, en partenariat étroit avec les autorités locales et nationales, les leaders communautaires et les familles. Prévenir efficacement les violences requiert également une sensibilisation et une formation de l’ensemble des acteurs présents sur le terrain et notamment des forces de défense, de police et de sécurité, et des travailleurs.euses humanitaires.
  • Mettre un terme aux violations à l’encontre des enfants touchés par un conflit, avec une attention particulière sur les filles, en commençant par prévenir le recrutement, les conflits et d’autres violations graves commises contre des enfants (conformément aux principes de Paris et de Vancouver), et les 6 violations les plus graves commises envers les enfants en temps de conflit armé telles que définies par le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
  • Lutter contre l’impunité et garantir un accès pour toutes aux droits et à la justice, notamment en coopérant avec les pays partenaires du G7 pour renforcer les systèmes de justice nationaux et s’assurer d’un accès facilité à ces systèmes pour les victimes de violences sexistes et sexuelles. Les Etats doivent aussi s’engager à protéger particulièrement les défenseur.e.s des droits humains qui peuvent, du fait de leur engagement, être la cible d’actes de violence, d’intimidation et de menaces pouvant mettre leur vie en danger.

2. Placer les femmes au coeur de la prévention et résolution des conflits, de la réponse humanitaire et du relèvement de leurs pays et communautés

Si les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables dans les contextes de crises humanitaires, elles ont un rôle de premier plan à jouer dans la prévention et la résolution des conflits et dans les processus de relèvement et de reconstruction. Il est essentiel que les États du G7 rappellent et mettent en oeuvre ce principe élémentaire posé par les résolutions Femmes, Paix et Sécurité du Conseil de sécurité des Nations unies. En tant que bailleurs de fonds, les pays du G7 doivent s’assurer que les actions qu’ils soutiennent, répondent pleinement aux attentes des populations locales affectées par les crises et fassent l’objet d’une réelle transparence à leur égard.
En s’appuyant sur les engagements pris l’an dernier à Charlevoix, nous appelons les États du G7 à :

  • Plaider en faveur d’une plus grande participation dans les processus de paix. Les accords de paix ont quant à eux 35% de chances en plus de durer au moins 15 ans si des femmes y ont été associés. Et pourtant, elles ne représentent que 8% des équipes de négociations(2). Nous appelons les États du G7 à :
    • Utiliser leur influence politique pour s’assurer que les organisations de femmes soient invitées aux tables de négociation de paix, et que leurs voix soient prises en compte tout au long des processus de paix. Ils doivent appeler à des accords de paix qui intègrent pleinement les enjeux d’égalité de genre et de droits des femmes et des filles.
    • Adopter un objectif selon lequel au moins un.e médiateur.trice sur trois est une femme et nommer des femmes à des postes clés tels que médiateur.trice principal.e et envoyé.e spécial.e.
  • Promouvoir activement l’implication systématique des femmes, des filles et des organisations pilotées par des femmes tout au long de la réponse humanitaire. Les États du G7 devraient annoncer de nouveaux financements pour soutenir des partenariats entre des organisations humanitaires, de défense des droits humains et des organisations locales de femmes et de filles visant à développer des modèles de prévention des conflits, réponse humanitaire et de relèvement post-conflit qui répondent aux besoins prioritaires des populations affectées mais aussi renforcent leurs droits. En tant que bailleurs, les pays du G7 doivent également utiliser leur influence auprès des agences onusiennes pour s’assurer que les voix des femmes et des filles sont prises en compte de manière systématique dans les mécanismes de coordination et de prise de décision autour des crises, notamment lors de l’élaboration et la validation de documents stratégiques annuels (“Aperçu des besoins humanitaires”, “Plan de réponse humanitaire”).
  • Renforcer leurs Plans Nationaux d’Action sur les femmes, la paix et la sécurité et assurer leurs financements. Les États du G7 doivent s’engager à impliquer les organisations de la société civile de leurs pays mais aussi des pays en développement dans lesquels leurs Plans nationaux d’action (PNA) sur les femmes, la paix et la sécurité seront mis en oeuvre, dans l’élaboration, la mise en oeuvre et le suivi des PNA. Les États du G7 doivent également accompagner leurs PNA de plans budgétaires d’ici 2020 au plus tard et garantir un reporting régulier des actions entreprises en la matière, des avancées réalisées et problématiques rencontrées.
  • Renforcer la place des femmes et des enjeux de genre dans les opérations de maintien de la paix. Les Etats du G7 doivent travailler à l’élimination des barrières et obstacles à une augmentation du nombre de femmes dans les opérations de maintien de la paix, en s’appuyant sur l’initiative Elsie(3). Ils doivent également inclure de manière systématique des conseiller.e.s genre dans les processus de planification opérationnelle des forces militaires du G7, afin d’aider à obtenir un soutien local, à assurer la sécurité, et projeter la stabilité. Les pays du G7 devraient aussi s’assurer de la présence d’au moins un.e conseiller.e genre par mission politique, de consolidation ou de maintien de la paix dans laquelle ils sont engagés d’ici 2020, et s’assurer qu’ils/elles fassent partie intégrante des stratégies, de la planification et de la prise de décisions de la mission.

3. Promouvoir la pleine intégration des enjeux de genre dans l’Alliance Sahel

Alors que la présidence française du G7 vise à rallier l’ensemble des pays du G7 au sein de l’Alliance Sahel pour améliorer la coopération autour des enjeux de développement dans cette région spécifique, le W7 considère que cette opportunité doit être saisie pour une intégration des enjeux de genre dans les stratégies et projets portés par l’Alliance. Les pays du G7 devraient vivement encourager l’Alliance Sahel à :

  • Adopter un plan d’action avec des fonds dédiés à la transversalisation de l’égalité de genre dans l’ensemble des programmes financés par l’Alliance, quel que soit le domaine d’intervention. Actuellement, les projets de l’Alliance ne prennent pas du tout en compte le genre et les enjeux d’accès des femmes et des filles à leurs droits ainsi que les problématiques auxquelles elles font face au quotidien.
  • Ajouter une septième thématique d’intervention ayant pour objectif principal l’égalité de genre et l’autonomisation des femmes et des filles, afin d’y consacrer des financements dédiés. Au-delà de la nécessaire transversalité de la prise en compte du genre dans les projets, certains d’entre eux doivent uniquement être basés sur la promotion et l’accès des femmes et des jeunes filles à leurs droits, à l’éducation, à l’emploi, à la protection, et aux enjeux de femmes, paix et sécurité. Promouvoir la paix, l’empowerment de la jeunesse africaine et plus spécifiquement l’autonomisation des femmes ainsi que des jeunes filles permettrait de contribuer à l’émergence de pays du Sahel forts, stables et prospères.

4. Adopter et mettre en oeuvre une politique étrangère féministe, composée d’une diplomatie et d’une aide publique au développement féministes

  • Chaque État du G7 doit s’engager à atteindre l’ODD 5 “Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles” d’ici 2030 en adoptant une feuille de route ambitieuse dotée d’indicateurs spécifiques avec des échéances claires permettant un suivi régulier des avancées et blocages et une réelle mesure de l’impact des actions entreprises.
  • En plus d’adopter une diplomatie féministe, les États du G7 doivent s’engager à mettre en oeuvre une budgétisation sensible au genre et augmenter massivement leurs financements en faveur de l’égalité femmes-hommes. Les États du G7 doivent ainsi s’assurer que 85% de leur APD intègre le genre, comme objectif significatif ou principal(4) à horizon 2021, dont au moins 20% dédiés à des projets ayant l’égalité de genre comme objectif principal. La Suède a démontré la faisabilité de cet engagement, ayant le genre comme objectif principal dans près 25% de son APD.
  • Les États du G7 doivent également augmenter les financements à destination des organisations, associations et mouvements locaux et communautaires qui luttent au quotidien pour les droits des femmes et des filles.
  • Cette augmentation massive de l’APD en faveur des droits des femmes et des filles peut contribuer à consolider la place des femmes et des filles dans la réponse aux crises et la prévention et la résolution des conflits, ainsi qu’à renforcer la résilience des populations et poser les bases d’un développement social et économique sur le long terme. Ce inclut le financement d’activités de prévention et de réponse aux violences basées sur le genre et de renforcement de capacités des organisations locales de femmes et de filles afin qu’elles puissent pleinement participer aux négociations de paix et aux décisions affectant l’ensemble de la société, une fois la stabilité retrouvée.
  • En s’appuyant sur la Déclaration de Charlevoix en matière d’égalité et de croissance économique, la feuille de route issue du G7 de Taormine et l’engagement “25×25”, les gouvernements du G7 devraient adopter, pour l’année à venir, un plan d’action en faveur de l’autonomisation économique des femmes favorisant l’inclusion financière et l’accès à un travail décent pour toutes les femmes, soutenu par des fonds publics.

Note
Le groupe d’engagement Women 7 (W7) rassemble des organisations de la société civile des pays du G7 et des pays en développement investies sur les droits des femmes et des filles. Il a pour mission de s’assurer que des engagements concrets en faveur de l’égalité femmes-hommes seront pris dans l’ensemble du processus du G7.

Contacts
● Fanny Petitbon, CARE France, petitbon@carefrance.org
● Elaine Lasson, Humanity Diaspo, elaine@humanitydiaspo.org

(1)Direction générale de la mondialisation, de la culture, de l’enseignement et du développement international, Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022), p20

(2) https://www.cfr.org/interactive/womens-participation-in-peace-processes

(3) https://international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/gender_equality-egalite_des_genres/elsie_initiative-initiative_elsie.aspx?lang=fra

(4) Selon le marqueur genre de l’OCDE: http://www.oecd.org/fr/cad/femmes-developpement/dac-gender-equality-marker.htm

Retrouvez la réaction du W7 ici (PDF)